États-Unis : comment Trump a allumé la mèche - Amnesty International France

Un Noir américain a deux fois et demie plus de probabilités qu’un Blanc de mourir d’une bavure policière. Triste coïncidence : le taux de mortalité des noirs pour cause de Coronavirus est plus de deux fois plus élevé que celui des blancs. L’injustice est d’abord, une fois encore, raciale. Aux dires du CDC, le taux d’hospitalisation pour cause de coronavirus des Amérindiens et des Noirs américains, est cinq fois plus important que celui des Blancs. Celui des hispaniques, quatre fois plus grand.Les Noirs américains, qui comptent pour 13 % de la population, représentent 23 % des décès, depuis mars 2020. Ce ratio est « une mesure simple et évidente des inégalités sociales, dans un État comme le mien où les Afro-Américains représentent aussi la moitié des détenus des prisons, rappelle T. Marie King, militante antiraciste de Birmingham, en Alabama, un État en butte à une recrudescence du nombre de personnes touchées par la Covid-19. On peut incriminer leur mauvaise santé, leurs pathologies préexistantes pour expliquer leur mortalité. Mais c’est aussi l’occasion de se demander pourquoi ils cumulent ces handicaps ». Le diabète, l’obésité et les maladies cardio-vasculaires font des ravages dans les ghettos, qualifiés de Food deserts (déserts alimentaires), dénués de supermarchés, et dont les commerces se limitent parfois à une simple station-service.

Travailleurs indispensables et… négligeables

L’hygiène de vie est pointée du doigt, dans un pays prompt à incriminer les carences personnelles des plus démunis. Mais ceux qui appartiennent à une minorité américaine souffrent aussi de la nature même de leurs emplois faiblement qualifiés et incompatibles avec le télétravail. À la caisse des supermarchés, dans la maintenance des immeubles, au volant de camions de livraison, ils se retrouvent au contact avec le public, ce qui expliquent en partie leur taux de contamination deux fois plus élevé que celui des Blancs. « En période d’épidémie, ils sont les travailleurs indispensables. Un terme officiel qui en réalité signifie négligeable », ironise Tiffany Greene, professeur de sciences de la santé publique à l’Université du Wisconsin-Madison, notant qu’ils ont plus de probabilité de travailler pour des employeurs qui ne respectent pas les règles de protection sanitaire. « Vous allez vous plaindre s’il s’agit d’un des rares jobs possibles, ou si vous êtes un immigrant sans papiers employé dans un abattoir qui ne fournit pas de masques ou de protections aux travailleurs entassés le long des chaînes de découpe ? remarque-t-elle.C’est le meilleur moyen de se voir dénoncé à la police de l’immigration ».

À New York, dans le Queens, Nuna Kim est l’une des pédiatres d’un important dispensaire de Flushing Meadows, le plus grand Chinatown de la ville.En temps normal, « 85 % de nos patients sont d’origine asiatique. Ils ont reçu très tôt les mauvaises nouvelles venues de Chine, ce qui leur a donné le temps de se préparer. De plus, le port du masque est, pour eux, une pratique habituelle dès que l’on a un doute sur son état de santé ou sur un risque de contagion ».Ces précautions ont permis de juguler l’épidémie dans le quartier, mais la vigilance reste entière. Une part importante des cas positifs provient des 15 % de patients non asiatiques du centre médical, pour la plupart des immigrants hispaniques. Dans le quartier voisin de Corona proche de l’aéroport La Guardia, une « petite Mexico », bondée de nouveaux arrivants d’Amérique du Sud, le taux de positifs dépasse… 67 % de la population.Les médecins y voient l’évidente conséquence des inégalités sociales : un emploi en première ligne du Covid-19 et des conditions de logement sordides. « Des appartements de trois chambres, accueillant trois familles avec enfants : ce sont de véritables incubateurs de la maladie », se désole Nuna Kim.

Faute de papiers, les millions d’immigrés en situation irrégulière n’ont d’autre choix que de recourir aux services d’urgences des hôpitaux. Certes ils sont accueillis, mais au prix fort, réservé aux non assurés et risquent des poursuites jusqu’à ce que l’hôpital établisse une absolue insolvabilité. Si certains établissements hospitaliers et dispensaires offrent des plans de paiements échelonnés, compatibles avec les revenus des patients, l’argent reste l’obstacle principal à l’accès aux soins pour les clandestins.

Une stigmatisation légale

États-Unis : comment Trump a allumé la mèche - Amnesty International France

Les immigrants en situation légale ne sont guère mieux lotis, en particulier à cause d’une loi de 1995, signée par le Président démocrate Bill Clinton, en guise de concession au Congrès républicain et populiste de l’époque. Le texte interdisait aux immigrants, pendant cinq ans après leur arrivée aux États-Unis, de postuler à la moindre aide sociale et de s’inscrire aux assurances publiques, qu’il s’agisse de Medicaid, réservée aux plus démunis, ou de Medicare, destiné aux personnes âgées et aux handicapés. En prévision de sa campagne de réélection, Donald Trump a ajouté une restriction supplémentaire : tout étranger requérant le bénéfice d’un programme public, tel ces assurances ou des Food stamps (bons d’alimentation pour les plus pauvres), doit être considéré comme une charge pour la société (Public Charge). Et à ce titre, se voit refuser le statut de résident permanent, soit la fameuse carte verte. Annoncé en août 2019, ce nouveau règlement, a pris effet le 24 février 2020, soit moins de trois semaines avant l’annonce, le 13 mars, de l’État d’urgence nationale en raison de la Covid-19.

Certes, sous la pression des organismes de santé publique, Trump a ajouté à la hâte un amendement excluant du règlement la couverture, par les assurances publiques, des tests de dépistage et des soins liés à la Covid pour les immigrés. Maria, une immigrante mexicaine du Queens en attente de ses papiers a été hospitalisée d’urgence en réanimation et a subi une trachéotomie après avoir été contaminée par le virus. « L’hôpital m’a fait bénéficier d’une prise en charge exceptionnelle de deux mois par l’assurance publique Medicaid, se souvient-elle.Mais s’il s’était agi d’une autre maladie, ou d’un accident, je serais peut-être ruinée ou sans espoir d’un titre de séjour ici » .L’exception accordée aux malades du Coronavirus n’a pas dissipé les craintes des immigrants. « Le règlement Public charge a clairement dissuadé les patients de venir en consultation. On l’a tout de suite noté dans nos salles d’attentes, en dépit des exceptions, liées à la Covid-19, se souvient Nuna Kim. Même des femmes enceintes étrangères à bas revenus, qui légalement ont droit à la prise en charge par Medicaid pendant deux mois, nous ont appelés pour annuler tous leurs rendez-vous et leurs dossiers d’inscriptions ». Les errements du gouvernement Trump ne s’arrêtent pas là.

Haro sur l’Obamacare

Alors que la pandémie frappe les États-Unis de plein fouet, la Maison Blanche poursuit son offensive légale contre le fameux programme Affordable Care Act (ACA), alias « Obamacare » , un système d’assurance privées subventionné mis en place par son prédécesseur pour fournir une couverture à des millions de non assurés. Le gouvernement américain a ainsi demandé à la Cour suprême de l’abroger purement et simplement. Si la Cour venait à déclarer l’ACA inconstitutionnel, Trump et ses alliés au Sénat n’auraient aucun plan alternatif. Or le pays comptait, en août 32 millionsde demandes d’indemnisation de chômage, et 10 millions d’Américains pourraient se retrouver sans assurance à la fin de l’année, après avoir perdu la couverture fournie par leurs employeurs.

Malgré tous ses défauts, malgré ses tarifs dépassant parfois 2 000 dollars par mois, assortis de franchises énormes pour les familles, malgré sa jungle d’options déroutantes et son manque d’ambition, l’ACA a réussi à réduire le nombre de non assurés à 27 millions d’individus. Ironie, les élus républicains ont pendant 10 ans voué ce programme aux gémonies, et voté au Congrès quelques 80 motions exigeant son abrogation, en décrivant la loi, pourtant modérée, comme une mainmise de l’État sur la médecine, et une première étape vers la socialisation de la santé aux États-Unis. Donald Trump, pour sa part, dépourvu de convictions sur le sujet, s’est contenté de reprendre le mot d’ordre de son parti. Mais en dépeignant Obamacare comme « un désastre », depuis ses premiers meetings de campagne, le président cherchait avant tout à détruire l’un des édifices majeurs de son prédécesseur, sans offrir de solution alternative. Quant à ses supporters les plus passionnés, peu informés et motivés avant tout par leur haine de l’ancien président, ils semblent ignorer qu’ils appartiennent à la catégorie sociale qui souffrirait le plus d’une abrogation de cette assurance santé.

51% des Américains se déclarent toujours favorables à cette assurance. Trump est conscient des risques politiques. Entravé par une majorité démocrate à la Chambre des Représentants, le Président a choisi la tactique dite des « mille coups de couteau », un sabotage du système par voie règlementaire destiné à aggraver ses problèmes, afin de le rendre inopérant ou, à défaut, de plus en plus impopulaire : il a coupé d’abord le budget de promotion des inscriptions sur ACA puis supprimé, en 2017, les subventions destinées aux assurés. L’attaque ultime, et la plus dangereuse, lancée par 20 États républicains, avec le Texas pour chef de file, consiste à déclarer inconstitutionnelle l’obligation de s’assurer ainsi que la fameuse pénalité fiscale imposée aux réfractaires. Si la Cour Suprême leur donne raison en septembre, contre la requête de 17 États favorables au maintien de la loi, Trump pourra brandir son trophée devant la foule en casquettes rouges de ses supporters. Mais il expose aussi son électorat à un désastre sanitaire, au moment où la deuxième vague du Coronavirus submerge les zones rurales sur lesquelles il compte pour les élections du 3 novembre.

A lire aussi : Lettre ouverte avant les élections américaines, les droits humains sont menacés

La santé en ligne de mire

La catastrophe a déjà commencé pour les plus vulnérables. L’une des provisions les plus importantes de la loi concerne les Américains dotés de revenus à peine supérieurs au seuil de pauvreté, mais considérés comme trop élevés pour obtenir l’assurance publique Medicaid.Pour combler ce fossé, l’Obamacare a ainsi étendu le programme Medicaid aux personnes ayant des revenus allant jusqu'à 138 % du seuil de pauvreté (16 000 dollars). Or 13 États, pour des raisons de pure idéologie, se sont acharnés depuis 2013 à priver leur population de cet avantage qui sert avant tout les familles de classe moyenne noires ou hispaniques. Trois résidents du Texas sur dix sont sans assurance pour cette raison.Et le nombre de non-assurés dans les États qui ont refusé « l’expansion du Medicaid » y est deux fois plus élevé qu’ailleurs, selon une enquête de centre d’analyse Families USA.

Trump voit dans cette obstination des gouverneurs, la confirmation du soutien républicain à sa réélection. Mais les premières failles apparaissent, à mesure que l’épidémie, et le chômage, gagnent ses Ėtats favoris, et leurs administrés blancs et républicains. Surprise : l’Oklahoma, dont 65 % des électeurs ont voté pour Trump en 2016, choisit maintenant d’étendre le Medicaid à 200 000 adultes non couverts. Le Missouri, un État pro Trump par excellence, a été contraint lui aussi de prendre la même mesure à la suite d’un réferendum au mois d’août. Le gouverneur du Wyoming se résigne à son tour à déroger au dogme.

On ne s’étonne pas que Joe Biden érige la santé publique au premier plan de sa campagne, juste après la lutte contre les inégalités raciales, qui préoccupent les deux tiers des Américains. Selon un récent sondage du Journal of the American Medical Association, 49 % des électeurs de tous bords, considèrent le démocrate comme mieux à même de résoudre le problème de la santé, alors que 34 % seulement font confiance à Trump dans ce domaine.

La conjonction de l’épidémie, de l’incurie de Donald Trump, et des manifestations de Black Lives Matter a accéléré le glissement à gauche de l’opinion. Joe Biden a d’ores et déjà les coudées franches pour lancer des réformes d’envergure. Il n’est toujours pas question de créer une sécurité sociale à part entière, un « medicare for all » qui contraindrait 160 millions d’Américains aujourd’hui assurés par leurs employeurs de passer sous la coupe de l’État.

Mais le candidat entend requinquer l’Obamacare, et lui adjoindre des mesures auxquelles Obama avait renoncé en 2012 sous la pression des Républicains : les Américains auraient ainsi le droit de souscrire à une « option publique », en clair d’obtenir, moyennant des primes calculées sur leurs revenus, l’assurance dont disposent déjà les fonctionnaires fédéraux et les élus du Congrès. Entre 55 et 65 ans, ils pourraient aussi obtenir le Medicare en tant qu’assurés volontaires.Enfin, tous les moins de 21 ans auraient droit à la gratuité totale des soins, évitant ainsi des tickets modérateurs équivalent au prix plein tarif d’une consultation médicale en France. Quant à Trump, ses harangues sur le prétendu « désastre de l’Obamacare » ne cacheront plus la vacuité de ses initiatives depuis le début de l’épidémie, ni l’appétit de renouveau de l’opinion américaine.

Correspondance à Washington de Philippe Coste, pour le magazine La Chronique

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