Enfants, époux, cousins : un député sur six emploie un proche comme collaborateur

L’affaire Fillon a mis en pleine lumière le rôle des assistants parlementaires et relancé le débat sur une pratique assez répandue : l’emploi par les parlementaires de membres de leur famille, pour des fonctions pas toujours très bien définies.

Dans un souci de transparence, l’Assemblée nationale a publié mardi 21 février la liste actualisée des 2 039 collaborateurs des 572 députés en activité. On y décèle assez facilement des noms de familles similaires qui font présumer des liens familiaux, sans qu’ils soient précisés explicitement dans le document (bien que l’Assemblée dispose de cette information, déclarée par les députés mais non publique).

Quelques jours auparavant, Le Monde avait lancé une opération baptisée #TransparenceAN, invitant tous les députés à déclarer des liens familiaux avec leurs collaborateurs. Après une semaine, près de 200 d’entre eux ont répondu. En croisant toutes ces données ainsi que le travail de nos confrères (en particulier l’enquête réalisée par Mediapart en 2014 et la presse régionale), nous aboutissons à un panorama non exhaustif, mais significatif, des liens qui unissent les députés à leurs collaborateurs.

Lire aussiTransparence sur les collaborateurs : les députés qui ont joué le jeu… et les autres

Entre un et huit collaborateurs par député

Un député dispose d’un crédit de 9 561 euros par mois prévu pour rémunérer jusqu’à cinq collaborateurs à l’Assemblée nationale ou dans sa circonscription d’origine. Mais il est libre d’en embaucher moins ou davantage. La seule limite réside dans le fait de ne pas allouer plus de la moitié de cette somme en salaire à un membre de sa famille directe.

La plupart des députés emploient trois ou quatre collaborateurs
Seuls trois députés n’emploient qu’un seul assistant parlementaire, et six partagent leur enveloppe entre sept ou huit personnes
Source : Assemblée nationale

Il apparaît que la plupart des députés ont choisi de travailler avec trois ou quatre collaborateurs. Seuls trois députés se contentent d’un seul assistant : il s’agit de Jean-Claude Fruteau (PS, La Réunion), Roger-Gérard Schwartzenberg (PRG, Val-de-Marne) et de… François Fillon (LR).

L’équipe la plus étoffée est celle du député (Parti écologiste) de Loire-Atlantique, François de Rugy, qui bénéficie d’une enveloppe majorée en tant que vice-président de l’Assemblée nationale et emploie huit personnes. Plusieurs présidents ou vice-présidents de commissions disposent de six ou sept collaborateurs.

Si l’on peut calculer qu’avoir quatre ou trois collaborateurs permet de les rémunérer entre 2 300 et 3 200 euros brut chacun en moyenne, la liste publiée par l’Assemblée ne précise ni le temps de travail ni le salaire de chacun. Or, il arrive parfois que certains assistants n’effectuent que quelques heures par mois, comme nous l’avons appris avec le questionnaire #TransparenceAN : un collaborateur de Christine Pirès-Beaune (PS, Puy-de-Dôme) n’est employé que quatre heures par semaine, quand celui d’Yves Jégo (UDI, Seine-et-Marne) travaille très précisément 12,7 heures hebdomadaires et que trois assistants de Jonas Tahuaitu (LR, Polynésie) se partagent un temps plein…

Quant à Karine Gautreau et Jessica Masson, qui travaillent à (quasi) temps plein au siège du Parti socialiste depuis 2014, elles sont toujours assistantes parlementaires du député et premier secrétaire du parti, Jean-Christophe Cambadélis… mais à raison de trente heures par mois, pour « quelques centaines d’euros » de rémunération mensuelle.

Plus d’un député sur six emploie un proche

Enfants, époux, cousins : un député sur six emploie un proche comme collaborateur

A l’origine de notre enquête #TransparenceAN, nous souhaitions lever l’opacité sur l’emploi d’un proche avec de l’argent public, et vérifier si le choix de François Fillon d’employer sa femme (et ses enfants) était exceptionnel. La réponse est non.

Après notre demande écrite aux députés – dont nous attendons encore plus de la moitié des réponses –, et l’examen de la liste publiée par l’Assemblée, nous avons établi une liste non exhaustive de 103 députés (soit près de 18 %) qui ont embauché un ou plusieurs membres de leur famille ; huit d’entre eux en ont même salarié deux.

La plupart de ces collaborateurs familiaux ont un lien direct avec le ou la députée, qu’il soit de nature conjugale ou filiale. Ce sont les seules relations dont la rémunération est encadrée par les services financiers de l’Assemblée.

Toutefois, nous avons repéré quelques cas plus rares de cousins, frères ou sœur, et même une petite-fille, celle de Francis Hillmeyer (UDI, Haut-Rhin). L’étude des liens familiaux fait aussi apparaître des histoires personnelles de députés qui se sont séparés de leur femme mais continuent à travailler avec elle, ou d’élus ayant épousé leur assistante.

Des liens souvent conjugaux ou filiaux entre les députés et leurs collaborateurs
selon notre enquête, 110 assistants parlementaires ont un lien familial avec leur employeur.
Source : Le Monde

Si la profession d’assistant parlementaire est majoritairement féminine (59 %), cette proportion est encore accrue parmi les salariés ayant un lien familial avec le député. On atteint très exactement 70 % de femmes pour 30 % d’hommes.

La répartition est assez équitable entre fils (21) et filles (24), mais est très déséquilibrée lorsqu’on s’intéresse aux conjoints : seules six femmes députées emploient leur mari, alors que quarante-cinq élus masculins travaillent avec leur épouse ou compagne.

Parmi les collaborateurs familiaux de l’Assemblée, sept sur dix sont des femmes
Filles, épouses ou cousines forment la majeure partie des assistants parlementaires ayant un lien familial avec leur député.
Source : Le Monde

Aucun groupe parlementaire n’échappe à la pratique des collaborateurs familiaux. Même parmi les quatorze députés de la gauche démocrate et républicaine, on trouve un député qui emploie son épouse. Toutefois, la pratique est nettement plus répandue à droite (25 % parmi les Républicains, près de 30 % à l’UDI) qu’à gauche (11,8 % du groupe socialiste).

Davantage de liens familiaux parmi les députés de droite
Plus de la moitié des députés repérés durant notre enquête (58) appartiennent au groupe des Républicains ou à l’UDI, qui ne représentent pourtant que 40 % de l’Hémicycle.
Source : Le Monde

Trente-six suppléants embauchés

Dès la publication de la liste des collaborateurs par l’Assemblée nationale, mercredi 22 février, l’hebdomadaire Marianne a remarqué que l’ancien premier ministre Manuel Valls avait embauché son suppléant Carlos da Silva comme collaborateur après son retour dans l’Hémicycle. Une situation peut-être étrange, mais ni illégale ni « unique en son genre ».

En effet, trente-six suppléants sont actuellement employés comme collaborateurs de leur député titulaire. Une pratique particulièrement répandue au Parti socialiste (21), alors qu’une dizaine de députés Les Républicains (LR) sont concernés.

Les suppléants embauchés comme assistants parlementaires
📂 Données

Quelques « cumulards » des liens

Parmi les huit « cumulards » employant deux personnes de leur famille, trois élus LR n’ont pas répondu spontanément à notre demande d’information : Jean-Pierre Gorges (Eure-et-Loir), qui emploie sa femme et sa fille (et est, par ailleurs, en course pour la présidentielle), Marc-Philippe Daubresse (Nord), qui emploie sa compagne et le fils de cette dernière, et Patrice Martin-Lalande (Loir-et-Cher), qui emploie son épouse et son fils. Les autres nous ont répondu dans le cadre de l’opération #TransparenceAN ou après nos sollicitations directes.

Réactions et justifications diverses

L’affaire Fillon n’a pas laissé les députés indifférents et les réactions corporatistes suscitées ont parfois eu pour résultat un argumentaire étonnant. « En canardant en permanence les élus, vous arriverez à dégoûter les plus motivés. Et alors vous verrez ce que c’est de n’avoir plus personne vers qui vous tourner, de vous heurter à des portes qui ne s’ouvrent plus, à des décisions absurdes que vous ne pourrez plus faire changer, etc. Il sera trop tard pour regretter », avertit ainsi Jacques Lamblin (LR, Meurthe-et-Moselle) sur sa page Facebook.

Interpellé sur l’emploi de sa femme, Valérie, comme collaboratrice, Nicolas Dupont-Aignan (DLF, Essonne) se justifie : « Si elle ne travaillait pas avec moi, on ne se verrait jamais. » Jean-Pierre Gorges (LR, Eure-et-Loir), de son côté, expliquait sur RMC : « C’est intéressant, parce que quand je fais des conneries, elle [sa fille Mathilde] s’autorise à me le dire, contrairement à quelqu’un d’autre qui serait moins franc. »

Les réponses que nous avons reçues livrent un inventaire à la Prévert sur les tâches attribuées à leurs collaborateurs : Pascal Demarthe (PS, Somme) explique que sa femme gère son indemnité de député et s’est vu attribuer comme « missions complémentaires » la communication et le suivi des pages Facebook et Twitter. Elle assure « les reportages photographiques lors des déplacements en circonscription et le week-end (assemblées générales, manifestations, etc.), l’organisation d’événements (réunions publiques, cérémonie des vœux, etc.), l’accueil des groupes en visite à l’Assemblée nationale et enfin elle [lui] sert aussi de chauffeur très souvent ».

Karine Gautreau, elle, s’occupe de ce que « personne n’est capable de faire » dans l’équipe parlementaire de Jean-Christophe Cambadélis (PS, Paris), depuis son départ à Solférino, comme par exemple l’organisation de déplacements dans le 19e arrondissement.

Une transparence inachevée

Ces liens familiaux que nous rendons publics ne seront toutefois pas complets tant que les parlementaires ne seront pas tenus de publier ces informations : il y a d’une part tous les députés qui ne nous ont pas répondu (ou nous ont menti) et n’ont pas le même nom de famille que leurs collaborateurs familiaux.

Il existe aussi une autre pratique critiquée, l’embauche croisée, qui consiste à faire employer son fils ou sa fille comme assistant parlementaire d’un collègue député, pour ne pas avoir à déclarer de liens familiaux. Nous n’avons trouvé que deux cas avérés de députés employant l’une le fils (Edouard Santais), l’autre la fille d’une autre députée (Maryll Vignal), mais ils sont peut-être plus nombreux.

Explorez l'ensemble de nos résultats :

Le collaborateur travaille :

En circonscriptionA l'Assemblée

Lien familial avec le député

Suppléant(e) du député

Opération #TransparenceAN :

Le député a répondu

Le député n'a pas répondu

📂 Données
Open data

📂 Accéder à l’ensemble des données utilisées pour cette enquête

Anne-Aël Durand,Mathilde Damgé etMaxime Vaudano

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